Le procés de Galilée

Article du Bulletin N°51 de la Société Astronomique de Lyon, octobre 2001

par Alain Brémond

Le procés

En 1633 s'ouvre à Rome, auprès du Saint-Office (Inquisition), le procès d'un homme qui figure parmi les personnalités les plus connues de son temps. L'Histoire a retenu de ce procès la condamnation, par une Eglise obscurantiste, d'une réalité évidente, la rotation de la terre autour du soleil. Et si en réalité le motif retenu contre Galilée masquait des problèmes bien plus graves ?
Notre regard sur ce procès et ce qu'en a retenu le grand public est obscurci, comme souvent en histoire, par plusieurs sources de confusion. D'abord les commentaires, postérieurs au procès, sont inévitablement perturbés par les connaissances acquises depuis. Par ailleurs il nous paraît aujourd'hui impensable que des autorités religieuses prennent position sur des faits scientifiques, mais en 1633, s'agissait-il de faits scientifiques ? Ensuite, dans un ressentiment général, on assimile la condamnation de Galilée aux autres méfaits de l'Inquisition et l'anticléricalisme du début du XXeme siècle ajoute encore à ces sentiments. L'absence de certaines sources importantes, tenues longtemps secrètes au fond des "caves du Vatican" a aussi contribué à ce malentendu. Enfin il ne sera pas inutile de rappeler le contexte politique, la personnalité du pape Urbain VIII et les groupes de pression qui l'entourent.
En 1633 Galilée (1564-1642) est très connu. Après avoir travaillé sur la mécanique, il achète une longue-vue en 1609 et la perfectionne. Il fait observer aux grands personnages de Venise où il réside alors, la lune, ses montagnes et les ombre formées par la réflexion de la lumière solaire par la terre. Il décrit la voie lactée comme un ensemble d'étoiles. Il observe les satellites dits "galiléens" de Jupiter. La publication de ces faits et les commentaires qu'il en tire dans le "Messager Céleste", moins d'un an plus tard, en mars 1610, ont un immense retentissement. Il s'installe alors à Florence auprès du Duc Côme II de Médicis qui le nomme premier mathématicien et philosophe. Il continue ses observations par celles des taches du soleil, des phases de Vénus mais surtout il affine son point de vue sur la science et défend les idées de Copernic (1473-1543). Son ouvrage "Discours sur les corps flottants" publié en 1612 le met en conflit avec les Dominicains mais reçoit un accueil favorable de l'Academia dei Lincei et du Collège romain.
A cette phase du récit il est nécessaire de s'arrêter pour décrire les groupes d'intellectuels qui s'opposent alors autour de la papauté. Le mode de pensée de l'époque est dominé par la scolastique héritée des pensées d'Aristote. La religion a su faire coïncider cette pensée avec les données littérales de la Bible. Cependant certains religieux éclairés commentent le point de vue de Copernic et même cherchent à intégrer ses propositions au message biblique. Il en est ainsi du père Castelli, du père Foscarini et du cardinal Bellamin. Face à eux les jésuites soutenus par l'Espagne et soutiens de l'Espagne restent partisans d'une stricte fidélité au texte de la Bible. La lettre à Castelli, en fait une "lettre ouverte", envenime le débat. Dans cette lettre de Galilée à son protégé le père Castelli, interdit d'enseignement copernicien, il préconise en effet la séparation nette entre le domaine de la Foi qui est celui de l'église et celui de la science dans lequel elle n'a pas à prendre parti. Pour Galilée l'Eglise doit "enseigner comment aller au ciel et non comment est le ciel". La controverse qui s'ouvrait alors entre les deux partis aurait pu s'arrêter là. Les prélats favorables aux idées de Copernic demandaient alors que l'on déclare que cette théorie permettait de mieux calculer le retour périodique des planètes mais qu'elle ne représentait pas une réalité démontrée (elle ne le fut qu'au XIXeme siècle). Cependant ni Galilée ni les jésuites ne souhaitaient s'en tenir à ce consensus modéré. Tout ceci aboutit le 3 mars 1616 à la mise à l'index de l'oeuvre de Copernic et à l'injonction faite à Galilée de ne plus parler de cette théorie. Signalons que cette position n'est pas propre au catholicisme romain. Luther avait traité Copernic de fou et la prise de position scientifique de Tycho Brahé qui vivait en pays luthérien n'est probablement pas étrangère à cette opinion de Luther.
Les passions semblaient s'être calmées mais l'apparition deux ans plus tard de trois comètes relança les débats sur l'astronomie. Prudent, Galilée ne reprend la parole qu'encouragé par le cardinal Barberini qui devient pape sous le nom d'Urbain VIII. Il publie alors, en 1623, "l'Essayeur". Cet ouvrage, dédié au pape et revu par les critiques des cardinaux, parle naturellement des comètes mais surtout expose les positions de Galilée sur les relations entre la science et les mathématiques, ce langage qui permet de comprendre l'Univers. L'année suivante, à Rome, Urbain VIII le pousse à écrire un ouvrage exposant "objectivement" et contradictoirement les positions de chacun des protagonistes. Galilée s'exécute et c'est "Le dialogue sur les deux principaux systèmes du monde, ptolémaïque et copernicien" qui paraît en 1632. Ces écrits mettent le feu aux poudres. En effet Galilée ridiculise à la fois les positions de ses adversaires, et le pape lui-même dans le personnage de Simplicio. Et c'est l'année suivante le procès et la condamnation de Galilée.

Galilée, vers 1600
Portrait de Galilée vers 1600

Le procès de Galilée, la version courante

L'accusation officielle portée par l'Inquisition est celle de la défense de l'héliocentrisme. Cette conception est jugée hérétique car elle contredit la Bible et notamment le passage de Josué où Dieu arrête la rotation du soleil autour de la terre pour permettre aux armées d'Israël de vaincre celles des Amorites. Galilée est alors obligé, le 22 juin 1633 de renier cette conception. Il n'a néanmoins jamais prononcé la fameuse phrase "Eppur si muove" qui lui a été attribuée un peu plus tard. Il est alors assigné à résidence. Cependant il n'est ni emprisonné ni interdit de recherches ou de publications tant qu'il ne parle pas des théories de Copernic. Mais alors âgé de 69 ans, sa maladie s'aggrave et il perd progressivement la vue. En 1638 il publie un ouvrage de synthèse qui aura un important retentissement: "Discours et démonstrations mathématiques concernant deux nouvelles sciences touchant la mécanique et les mouvements locaux". Dans cet ouvrage il corrige ses erreurs sur la formulation mathématique de la chute des corps il ouvre la voie à ses successeurs et notamment à Newton.

La lune vue par Galiléé
La Lune, vue par Galilée

Les dessous du procès: une accusation plus grave

Avant le procès, Galilée avait été soutenu par le pape Urbain VIII. Devant l'ampleur de la réprobation soulevée par les derniers écrits et probablement aussi blessé par la satire que fait de lui Galilée dans "le dialogue" il l'abandonne à l'Inquisition. Néanmoins il réussit, aidé par les autres prélats favorables à Galilée, à limiter le chef d'accusation à l'héliocentrisme. En réalité Pietro Redondi souligne que le caractère hérétique de cette proposition n'était pas établi car il n'était étayé par aucune décision pontificale ou délibération conciliaire. La mise à l'index de 1616 ne valait pas condamnation, les propos de Copernic avaient seulement été jugés "téméraires" et "contraires aux écritures". D'ailleurs les ouvrages mis à l'index pouvaient être consultés par les "savants"; ils étaient seulement retranchés de la vie publique.
Une lettre découverte par Pietro Redondi montre que le véritable risque encouru par Galilée -et qui aurait pu le conduire au bûcher- concernait ses prises de position à propos de l'atomisme de Démocrite et ses relations avec le dogme de l'eucharistie. On sait que le thème de la transsubstantiation avait été une des grandes sources de discorde entre protestants et catholiques. En réaction, au concile de Trente (1551), l'Eglise catholique avait précisé son dogme. Elle affirmait que dans le sacrifice de l'Eucharistie, le pain se transformait réellement dans le corps du Christ et le vin en son sang même si l'aspect extérieur des choses n'était pas changé. Elle s'opposait ainsi aux sacramentaires qui voyaient l'Eucharistie comme une simple commémoration et aux calvinistes qui pensaient que le Christ n'était présent qu'en esprit.
Ainsi dans cette croyance les molécules du pain et celles du vin se transformeraient en molécules du corps et du sang du Christ, seule la forme, l'apparence extérieure serait conservée. Galilée, dans "l'Essayeur", défend l'atomisme contre la pensée d'Aristote et les "substances".
Rappelons qu'il est en cohérence avec ses recherches en physique. Dans la conception aristotélicienne une pierre tombe sur la terre du fait qu'elle appartient à l'ensemble des corps pesants dont la nature est de tomber, au contraire des corps légers comme l'air et le feu dont la nature est de monter vers le ciel. Pour Galilée au contraire la réalité physique peut s'expliquer, les phénomènes complexes peuvent se décomposer en enchaînements simples descriptibles grâce aux mathématiques. Ainsi la structure du pain est différente de la structure du corps. Ceci n'échappe pas à un religieux romain (peut-être le père Grassi) qui, en 1624 écrit une lettre au Saint-Office qui insiste sur les positions de Galilée comme mettant en danger l'édifice des croyances préconisées par le Concile de Trente et en particulier le dogme de la transsubstantiation. Cette lettre avait disparu. Elle a été redécouverte par Pietro Redondi. Ainsi Galilée, par ces positions mettant gravement en cause un dogme fondamental de l'Eglise catholique, devenait coupable d'hérésie et risquait de ce fait une condamnation à mort.

Sur quoi Galilée avait-il mis l'accent? Sur le mouvement, sur le libre exercice du raisonnement, sur la nécessité d'ouvrir au champ du savoir les questions constituant la chasse gardée de la théologie, sur la cohérence reliant dialectiquement l'homme et la nature, enfin sur le renversement par lequel l'évidence mathématique reléguait dans les tiroirs de la mentalité magique les postulats terroristes de la théologie. C'est l'imaginaire du concept enraciné dans la rigueur du monde physique qui est rejeté par l'Inquisition, Galilée donnant le prétexte, devenant le symbole du courant de la pensée critique et dynamique étouffé par l'enseignement fixiste hiérarchisant hérité de Platon sur le plan social et d'Aristote dans le domaine physique. Galilée réconcilie l'expérience et la mathématisation du discours, la conséquence de cette unité amenant l'esprit à rejeter l'idée d'une vérité immobile, politique, morale, théologique, transmissible indéfiniment.
Pierre Boudot.

Une lutte d'influence entre Jésuites et entourage du pape

Le problème était en effet que l'Essayeur avait été publié avec l'assentiment du clergé romain et du pape lui-même. Ces derniers prendraient-ils le risque de relancer le débat sur l'Eucharistie? A cela s'ajoutait un problème politique. Les jésuites défenseurs des principes du concile de Trente, soutenus par le parti espagnol s'opposaient à la papauté plutôt disposée à se rapprocher des français et du cardinal de Richelieu.
Les Jésuites et plus particulièrement l'un d'entre eux, le père Grassi, avaient été ridiculisés par Galilée dans l'Essayeur sur le problème des comètes. Cela renforçait leur désir de voir condamner Galilée comme hérétique. Ils avaient échoué en 1624, ils reprenaient l'offensive en 1633. Pour cela ils changeaient leur motif et profitaient du mécontentement du pape ridiculisé par Galilée. Mais ce dernier répugnant à le faire condamner pour hérésie orienta le procès sur une question qui ne relevait que d'une simple erreur à récuser. Ainsi Galilée serait bâillonné mais non exécuté. La politique française du pape n'était pas compromise, l'Eglise maintenait le cap du Concile de Trente mais ne faisait pas, croyait-elle , un martyre de Galilée.

Galilée, par Vincenzo Viviani
Galilée, par Vincenzo Viviani

Conclusion

Une grave question de dogme, voilà ce qui pesait sur la tête de Galilée. Ses conceptions philosophiques et sa position favorable à l'atomisme et contre l'aristotélisme allaient à l'encontre du dogme officiel de la transsubstantiation dans l'eucharistie, ce qui était hérétique. Cependant, grâce à sa renommée et à la bienveillance de quelques autorités ecclésiastiques il échappa à un procès pour hérésie. Ce que lui demandaient ses amis et parmi eux le pape Urbain VIII était de présenter la conception héliocentrique comme un outil de calcul et une simple hypothèse ou bien de réellement démontrer ses affirmations. Au lieu de cela, fort d'une intuition basée sur des observations concordantes, Galilée maintint ses points de vue sur l'héliocentrisme mais aussi sur la séparation indispensable entre sciences et religion. Il ne put démontrer ses thèses, qui ne le furent qu'au XIXème siècle, mais permit à d'autres comme Newton de progresser dans la formulation mathématique du mouvement des planètes.

Alain Brémond


Chronologie de l'Affaire

1600: condamnation au bûcher de Giordano Bruno
12 mars 1610: "Le messager céleste"
1612: "Discours sur les corps flottants"
1616: mise à l'index de l'oeuvre de Copernic "De revolutionibus orbium coelestium". Galilée se voit interdit de parler de ces nouvelles conceptions du monde
1623: publication du "Saggiatore" (l'Essayeur). Il prend le prétexte d'une controverse sur les comètes pour préciser ses idées sur le monde physique et revenir sur l'héliocentrisme
1623: élection du pape Urbain VIII ami de Galilée et de caractère libéral
1632: parution de "Dialogue sur les deux principaux systèmes du Monde, ptolémaïque et copernicien"
15 janvier 1633: lettre à Elia Diodati
22 juin 1633: condamnation de Galilée
1638: publication de "Discours et démonstrations mathématiques concernant deux nouvelles sciences touchant la mécanique et les mouvements locaux"
1642: mort de Galilée


Pour en savoir plus.

Pierre Boudot, L'ostracisme in Encyclopédia Universalis Paris, 2000
François Chatelet, Une histoire de la raison. Paris, Seuil, 1992
Jean-Maurice de Montrémy. La révision du dossier Galilée. L'histoire, N°116, pp 82-86
Pietro Redondi, Galilée hérétique, Paris, Gallimard, 1985
Isabelle Stengers Les affaires Galilée pp 223-249 in Michel Serres dir. "Eléments d'histoire des sciences" Paris Bordas, cultures, 1989.

Tycho Brahé (1546-1610), noble danois, prétendait que la terre était au centre de l'univers mais que les planètes tournaient autour du soleil.



Retour